Dessins de Victor HUGO

L’auteur de ce site souhaite promouvoir naturellement ses propres peintures, mais étant un inconditionnel de Victor Hugo et tout en restant dans un cadre pictural, il vous propose une phase peu connue de Victor Hugo dessinateur. J’espère que vous serez surpris de découvrir avec quelle intensité créatrice elle double ses écrits.

 

- S’il n’était pas poète, Victor Hugo serait un peintre de premier ordre, il excelle à mêler dans ces fantaisies sombres et farouches, les effets du clair-obscur de Gaya à la teneur architectonique de Piranèse.

Théophile Gautier

SOUVENIR

  • Dessin 1. Fusain, Encre, Papier vélin, dimensions : 13.7 x 22.3 cm

Pochoir utilisé à l’encre noire et au fusain et comportant des traces d’encre brune. Papier découpé dans un papier beige, formant le mot SOUVENIR ayant servi pour le dessin "Souvenir". (Ci-contre) MVH inventaire : 2648

  • Dessin 2. Plume et pinceau, encre brune et lavis, lavis d'encre noire, fusain, crayon gras, encre bleue et lavis, rehauts d'or, parties frottées, utilisation d'un pochoir sur papier beige, dimension 16 x 30 cm.

Dessin réalisé pendant l'exil à Guernesey et qui évoque le souvenir de Paris avec ses monuments : à gauche l'Arc de triomphe, l'Obélisque de la Concorde, les moulins de la Butte Montmartre au centre, Notre-Dame et le Panthéon à droite. Au-dessus le mot SOUVENIR en lettres découpées avec une date sur chacune d'entre elles. MVH n° inventaire : 926

La première évidence, ignorée du dessinateur, s’apparente à ce qu’André Breton aurait appelé le « hasard objectif » : c’est l’extraordinaire pré-vision du cortège funèbre qui, le 1er juin 1885, conduira le cadavre de Victor Hugo de l’Etoile au panthéon. Jean Gaudon, Victor Hugo et les images, colloque de Dijon, p154.

La datation de ce dessin pose problème. Il a été daté vers 1864, en se basant sur le pochoir (inv. n° 2648). Ce dessin, où Victor Hugo célèbre, pour Léonie Biard (Léonie d’Aunet, 1820-1879), leur passion vouée socialement et intiment à la plus grande discrétion, conserve nécessairement une part d’énigme. On ne sait précisément à quels moments de cet amour correspondent les dates inscrites dans les lettres du mot « SOUVENIR ». Toutefois, leur succession suivant le rythme saisonnier permet de leur attribuer une année, entre 1843 et 1845, qui autorise quelques déductions ou hypothèses. Le « 23 novembre » [1843] peut assez logiquement marquer le moment où se noue leur relation » [1843] est la seule date qui soit commune avec celle d’un poème consacré à Léonie, le premier, qui sera publié posthumément dans le recueil « Toute la lyre » (section, VI, poème 19). Les deux dates « 1er janvier » [1844] et « 6 novembre » [1844] restent mystérieuses mais appellent une remarque. En effet la proportion s’inverse par rapport aux poèmes. Deux dates seulement alors qu’au moins dix poèmes sont consacrés à Léonie cette année-là. Alors que quatre dates figurent sur le dessin pour 1845 contre un seul poème (« Toute la lyre », VI, 1). Le « 2 juillet » [1845] est singulièrement proche du constat d’adultère provoqué par le mari de Léonie, le peintre François Auguste Biard, différemment placé selon les biographes entre le 2, le 3 et le 5 juillet. La date du dessin plaiderait pour le 2 juillet comme date du drame, à moins qu’elle ne désigne le dernier jour de bonheur avant le constat. Les deux dates suivantes posent problème car elles sont proches de certains événements mais ne coïncident pas. Ainsi on sait que le 5 août Victor Hugo est malade chez Juliette Drouet et restera souffrant plusieurs jours. Léonie est, elle, enfermée à la prison de Saint-Lazare. Mais le 14 août est prononcée la séparation de corps et de biens des époux Biard. À quoi peut donc correspondre le « 9 août » [1845] ? Une visite à Saint-Lazare ? Une erreur de Victor Hugo sur la date du jugement qui « libère » Léonie de son mari ? Même problème pour la date du « 14 septembre » [1845]. Les 8 et 9 septembre, Hugo fait un mystérieux voyage dans les alentours de Chelles et de Montfermeil qui lui servira pour « Les Misérables ». L’hypothèse a été avancée que Léonie ait accompagné Hugo, profitant d’un moment de liberté entre sa sortie de Saint-Lazare et son entrée au couvent des Augustines que l’on situe vers le 10 septembre. Le 14 septembre serait-elle la date réelle de son entrée, ou bien la date d’une première visite qu’aurait pu lui faire Victor Hugo ? Léonie restera environ six mois dans ce couvent. Hugo date du 9 novembre 1845, le seul poème important de cette année, dont le contenu peut laisser supposer une visite au couvent. En serait-il de même pour le « 22 novembre » [1845] qui figure ici comme un terme sans qu’on en sache la raison.

Pochoir souvenir

Ce dessin « souvenir » prolonge l’inspiration de certains poèmes de 1844. Ainsi ce poème de « Toute la lyre », VI, 48 :

Oh ! dis, te souviens-tu de cet heureux dimanche ?
- Neuf juin ! - Sur les rideaux de mousseline blanche
Le soleil dessinait l'ombre des vitres d'or.


Il te nommait son bien, sa beauté, son trésor.
Tu songeais dans ses bras. Heures trop tôt passées!
Oh! comme vous mêliez vos âmes, vos pensées!
Dehors tout rayonnait, tout rayonnait en vous,
Et vos ravissements faisaient le ciel jaloux.
Tes yeux rêveurs brillaient, pleins d'un vague sourire.
Aux instants où les cœurs se parlent sans rien dire,
Il voyait s'éclairer de pudeur et d'amour,
Comme une eau qui reflète un ciel d'ombre et de jour,
Ton visage pensif, tour à-tour pâle et rose;
Et souvent il sentait, ô la divine chose!
Dans ce doux abandon, des anges seul connu,
Se poser sur son pied ton pied charmant et nu.
                                                                          25 juin 1844.

Souvenir

« Dernière gerbe 70-1 », Hugo revient en « août 1844 » sur la nuit du 1er avril. Ce poème est, dans sa tonalité, le plus proche du dessin :

C'était la première soirée
Du mois d'avril.
Je m'en souviens, mon adorée.
T'en souvient-il ?

Nous errions dans la ville immense,
Tous deux, sans bruit,
A l'heure où le repos commence
Avec la nuit !

Heure calme, charmante, austère,
Où le soir naît !
Dans cet ineffable mystère
Tout rayonnait,

Tout ! l'amour dans tes yeux sans voile,
Fiers, ingénus !
Aux vitres mainte pauvre étoile,
Au ciel Vénus !

Notre-Dame, parmi les dômes
Des vieux faubourgs,
Dressait comme deux grands fantômes
Ses grandes tours.

La Seine, découpant les ombres
En angles noirs,
Faisait luire sous les ponts sombres
De clairs miroirs.

L'œil voyait sur la plage amie
Briller ses eaux
Comme une couleuvre endormie
Dans les roseaux.

Et les passants, le long des grèves
Où l'onde fuit,
Étaient vagues comme les rêves
Qu'on a la nuit !

Je te disais : - " Clartés bénies,
Bruits lents et doux,
Dieu met toutes les harmonies
Autour de nous !

Aube qui luit, soir qui flamboie,
Tout à son tour ;
Et j'ai l'âme pleine de joie,
Ô mon amour !

Que m'importe que la nuit tombe,
Et rende, Ô Dieu !
Semblable au plafond d'une tombe
Le beau ciel bleu !

Que m'importe que Paris dorme,
Ivre d'oubli,
Dans la brume épaisse et sans forme
Enseveli !

 

 

Que m'importe, aux heures nocturnes
Où nous errons,
Les ombres qui versent leurs urnes
Sur tous les fronts,

Et, noyant de leurs plis funèbres
L'âme et le corps,
Font les vivants dans les ténèbres
Pareils aux morts !

Moi, lorsque tout subit l'empire
Du noir sommeil,
J'ai ton regard, j'ai ton sourire,
J'ai le soleil ! "

Je te parlais, ma bien-aimée ;
Ô doux instants !
Ta main pressait ma main charmée.
Puis, bien longtemps,

Nous nous regardions pleins de flamme,
Silencieux,
Et l'âme répondait à l'âme,
Les yeux aux yeux !

Sous tes cils une larme obscure
Brillait parfois ;
Puis ta voix parlait, tendre et pure,
Après ma voix,

Comme on entend dans la coupole
Un double écho ;
Comme après un oiseau s'envole
Un autre oiseau.

Tu disais : " Je suis calme et fière,
Je t'aime ! oui ! "
Et je rêvais à ta lumière
Tout ébloui !

Oh ! ce fut une heure sacrée,
T'en souvient-il ?
Que cette première soirée
Du mois d'avril !

Tout en disant toutes les choses,
Tous les discours
Qu'on dit dans la saison des roses
Et des amours,

Nous allions, contemplant dans l'onde
Et dans l'azur
Cette lune qui jette au monde
Son rayon pur,

Et qui, d'en haut, sereine comme
Un front dormant,
Regarde le bonheur de l'homme
Si doucement ! [...]
Victor Hugo

Les Douvres

Plume ; pinceau, encre brune et lavis, gouache blanche sur papier d’album ; collé sur un feuillet de support 295x420 où figure la note autographe :

« dans ce dessin, de même que sur le frontispice, j’ai trop penché la cheminée, entrevue, de la Durande échouée. Elle doit être beaucoup plus droite. » ; était placé entre les ch.3 et 4 du livre 1er de la 2e partie. – 237x367. N.a.f. 24745,f.232 (boîte 3,n°27)

« C’est deux piliers c’étaient les Douvres. L’espèce de masse emboîtée entre eux comme une architrave entre deux chambranles, c’était la Durande. […] Les Douvres, élevant au-dessus des flots la Durante morte, avaient un air de triomphe. On eût dit deux bras monstrueux sortant du gouffre et montant aux tempêtes ce cadavre de navire. C’était quelque chose comme l’assassin qui se vante. »

« L’espèce de H majuscule formée par les deux Douvres ayant la Durande pour trait d’union, apparaissait à l’horizon dans on ne sait quelle majesté crépusculaire. » (Les Travailleurs de la mer, T II, I, i)

L’ensemble de la masse rocheuse peut se lire comme un gigantesque V.H.

 

 

Les douvres

Etude de tête

 

Etude de tete

 

Le corps humain pourrait bien être qu’une apparence. Il cache notre réalité. Il s’épaissit sur notre lumière ou sur notre ombre. La réalité c’est l’âme. A parler absolument, notre visage est un masque. Le vrai homme, c’est ce qui est sous l’homme. Si l’on apercevait cet homme-là, tapi ou abrité derrière cette illusion qu’on nomme la chair, on aurait plus d’une surprise.

LES TRAVAILLAURS DE LA MER ? 1866. 1ere partie, Livre III, I.

Dessin de Victor Hugo : Étude de tête, 1865-1869 Fusain, sur papier bleu 23,6x17,4

 

 

Ripa

Ripa 1857

Plume, barbes de plume et encre brune, l'avis gris, crayon de graphite, fusain et aquarelle, sur papier vélin. H86 X L91.

Signé en bas à droite : Victor Hugo/Guernesey. 1857

Au dos : Souvenir à mon cheret courageux compagnon d’exil Charles Fournier/ V.H./ Guernesey-1857

Paris, musée du Louvre,département des arts graphiques.

Cette carte de visite fut adressée pour les étrennes à un autre proscrit, Charles Fournier. Le paysage est celui du havre de Saint-Pierre-Port où aborda Victor Hugo arrivant de Jersey le 31 octobre 1855. Au centre se distingue l'église évoquée en termes imagés par Victor Hugo : "Elle donne la bienvenue à ceux qui arrivent et l'adieu à ceux qui s'en vont. Cette église est la majuscule de la longue ligne que fait la façade de la ville sur l'océan." (Les Travailleurs de la mer, III, III, 1)

 

 

Ripa

La Turgue

La tourgue

 

 

La Tourgue en 1835

Plume, Lavis, Encre sur papier H 30.3 L 19.8 cm

Inscription en bas à droite à l’encre brune : « La Tourgue/en 1835/V.H.

La Tourgue est la vieille bastille en ruine des Gauvain, dans le roman : Quatrevingt-treize rédigé de décembre 1872 à juin 1873, publié en 1874, c’est le dernier roman de Victor Hugo (1802-1885). L'écrivain en forma le projet à la suite de la parution des Misérables, en 1862

Les dessins de Victor Hugo – à l’exception du grand cycle pour "Les travailleurs de la Mer" – ne sont que rarement en relation directe avec son œuvre littéraire. « La Tourgue en 1935 » fait partie de ces exceptions ayant été réalisée spécifiquement comme projet d’illustration ainsi que l’écrivain le note dans ses carnets, à la date du 30 mai 1876 : « J’ai fait pour le 93 illustré le dessin de la Tourgue en ruine ».

Selon le souhait de Victor Hugo, la première publication n’est jamais une édition illustrée, mais celle-ci suivait de peu dès que paraissait une édition populaire. C'est le cas ici, pour la publication du roman dans "l'Edition Eugène Hugues" ou "Edition du Victor Hugo illustré", en 1876, pour laquelle plusieurs illustrateurs - comme Gustave Brion, Emile Bayard, Henri Louis Scott - donnent des dessins. Paul Meurice qui est le maître d'œuvre de l'édition Hugues, a à cœur d'y reproduire nombre de dessins de Victor Hugo et sans nul doute a-t-il convaincu Victor Hugo de réaliser un dessin pour ce volume. On sait que pour son héros, Hugo a repris le nom de famille de Juliette Drouet, « Gauvain ». Aussi pour le château familial s’inspire-t-il de la Tour Mélusine du château de Fougères, ville natale de Juliette, qu’il avait visité et dessiné le 25 juin 1836 (et non 1835 comme voulait le rappeler l’inscription portée sur cette feuille).  Ici Hugo mêle le souvenir réaliste de la tour de Fougères et la fiction littéraire, avec la ruine de la galerie incendiée. Le dessin témoigne d’une grande virtuosité technique notamment dans l’utilisation du voile vaporeux d’un fin réseau de dentelle obtenu par la diffusion de l’encre sur le papier mouillé ; cette utilisation de l’aléatoire est d’une grande modernité. « La Tourgue » est sans doute le dernier grand dessin de Victor Hugo dont l’œuvre graphique se réduit dans les dernières années de sa vie. Ce dessin a figure à l'exposition de la galerie Georges Petit, en 1888, qui fut la première exposition publique de dessins de Victor Hugo, sous la rubrique "Collection de M. Paul Meurice", n° 83.

Réf : Paris musée collections Maison Victor Hugo-Hauteville Housse

Une Bastille de province

Le voyageur qui, il y a quarante ans, entré dans la forêt de Fougères du côté de Laignelet en ressortait du côté de Parigné, faisait, sur la lisière de cette profonde futaie, une rencontre sinistre. En débouchant du hallier, il avait brusquement devant lui la Tourgue.

Non la Tourgue vivante, mais la Tourgue morte. La Tourgue lézardée, sabordée, balafrée, démantelée. La ruine est à l’édifice ce que le fantôme est à l’homme. Pas de plus lugubre vision que la Tourgue. Ce qu’on avait sous les yeux, c’était une haute tour ronde, toute seule au coin du bois comme un malfaiteur. Cette tour, droite sur un bloc de roche à pic, avait presque l’aspect romain tant elle était correcte et solide, et tant dans cette masse robuste l’idée de la puissance était mêlée à l’idée de la chute. Romaine, elle l’était même un peu, car elle était romane ; commencée, au neuvième siècle, elle avait été achevée au douzième, après trois croisades.

Réf : tiré du texte du roman de Victor Hugo Quatrevingt-treize - Troisième partie en Vendée – Livre deuxième : Les trois enfants, IX, l.

  • Extrait de l’article de Camille Pelletan, journaliste daté du 5 mars 1874 dans L’Egalité de Marseille :

Tout d’abord une description du château (La Tourgue), qui dépasse tout. Avez-vous vu quelquefois des dessins de Victor Hugo ? Ces rêves d’une terrible précision de ruines fantastiques, où les pierres déchiquetées semblent vivre ?

Nous y pensions en lisant ces admirables pages où les mots arrivent à la netteté de la peinture. La lecture finie, on connait le château, comme si on l’avait, je ne dis pas vu, mais habité.

  • Extrait de l’article de Philippe Burty L’Art, 12 septembre 1875

La Tourgue en 1835

Victor Hugo possède un degré énergique la faculté d’emprisonner dans un contour, d’évoquer par un jeu de lumière, de noyer dans des ombres l’image des choses que fait vivre son vers, Burgs démantelés soudés aux pics, levers de lune qui donnent aux arbres des silhouettes de fantômes, tempêtes qui assaillent des barques, lacs immobiles, rivières serpentant dans de larges plaines, palais féeriques, citadelles fabuleuses, gorges arides, cathédrales élancées, lourds pignons sur rues, même les foules bariolées qui vont vers des buts inconnus et les êtres dont l’allure ou la physionomie, rapidement entrevues, ont une intensité.

Exceptionnelle ; il a tout réduit avec une certitude étonnante […].

Date de dernière mise à jour : 06/06/2024